Parmi les six films réalisés par Sono Sion en 2015 se trouve Tag , adaptation du roman de Yusuke Yamada, best-seller qui connaît bien le cinéma puisqu’il y a déjà été porté à six reprises. Un projet de commande dont se joue Sion d’une toute autre manière, rassurez-vous, qu’avec Shinjuku Swan (2015). Dans la veine de Suicide Club (2002), le prolifique cinéaste y dessoude bon nombre de lycéennes et ce dès la bluffante introduction qui vaudra au film une mention spéciale pour son ouverture (en plus du prix du meilleur long-métrage) au Festival Fantasia de Montréal. Devant ce bus scolaire coupé en deux et les moitiés de corps de lycéennes qu’il transporte, le spectateur, lui aussi partagé en deux, hésite devant cette situation surréaliste : dois-je prendre peur ou rire devant ces gambettes toujours debout qui crachent, à intervalles réguliers, d’abondantes gerbes de sang ?… Pas de doute possible, il s’agit bien d’un film de Sono Sion.

La Mort, tout au long du métrage, ne cessera de poursuivre sans apparence ni apparente logique les différentes incarnations de la protagoniste : Mitsuko. Si le sort s’acharnait sur chaque individu nommé Sato dans le roman, la mort et la caméra sont ici aux trousses de Mitsuko (Reina Triendl), Keiko (Mariko Shinoda) et Izumi (Erina Mano), matérialisations d’une seule et même personne, témoins que se passent les différents univers parallèles traversés par cette course relais contre la mort. Prénoms-bâtons que se relayent, eux aussi, les films de Sion : Mitsuko est ainsi employée dans Suicide Club (2002), Cold Fish (2010) et Virgin Psychic (2015), Keiko s’incarne deux fois dans Himizu (2012), ainsi qu’une fois encore dans Virgin Psychic, alors qu’on trouve Izumi au sein de Land of Hope (2012) et Guilty of Romance (2011). Autre fait intéressant au sujet de ces noms, passerelles entre les œuvres, les univers de Sion, c’est Megumi Kagurazaka, épouse du réalisateur, qui joue l’une des Keiko d’Himizu, ainsi que les deux Izumi précédemment mentionnées. De là à dire que le pitch de Tag  sert une réflexion sur l’Oeuvre d’un auteur, il n’y a qu’un pas. Pas que ne franchira d’ailleurs pas, du moins entièrement, le film. La faute, certainement, à un investissement personnel moindre du cinéaste, rendu probablement difficile par la nature même du projet. Ou peut-être ce pas est-il simplement retenu par le foutoir bis avec lequel compose Tag.

Toujours est-il que la réflexion, ou ne serait-ce que l’esquisse de celle-ci est bien présente et accompagne le film tout au long de sa course effrénée. A travers celle-ci, Sion se joue du projet, de son œuvre, de lui-même et teinte Tag d’une douce mélancolie. Sentiment renforcé par ses couleurs pâles, grisâtres, qu’égaye tristement le rouge que saigne les maquillages et effets spéciaux de Yoshihiro Nishimura, grand nom du splatterpunk japonais derrière, entre autres, Tokyo Gore Police (2008), Vampire Girl vs. Frankenstein Girl (2009), ainsi que Helldriver (2011). Sentiment transcendé, lorsque la caméra s’envole à la poursuite de Mitsuko et ses camarades de course, sous l’impulsion de Pure As Snow (Trails of Winter Storm), morceau prêté à plusieurs reprises au film par le groupe de post-rock nippon MONO, à qui l’on doit notamment, pour ne citer que ces deux albums, For my Parents (2012) et Hymn to the Immortal Wind (2009), dont est d’ailleurs tiré ledit morceau.

C’est là, à travers ces moments, parvenus à se frayer un chemin entre les « plans culottes » et les carnages, revenus à la surface des citernes d’hémoglobine déversés sur la pellicule, que Tag, étrangement, touche au sublime et touche même tout court.

Fable féministe au propos nébuleux, perdu dans un bordel bis sans nom, Tag est à l’image de ses actrices, ex-idols pour certaines (Mariko Shinoda et Erina Mano, par exemple), attachantes, touchantes, tout en surjeu. Tag, en somme, c’est un peu comme le gloubi-boulga de notre ami Casimir, déséquilibré et plein de bonnes choses qui n’ont rien à faire ensemble, mais qui reste ici à peu près digestes.